les articles sur le vitrail, succèdent à des pages de croquis mémoires ou vise versa dans le but de ne pas fatiguer le blogueur.
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Il traverse d’une seule enjambée le canal et son chemin de halage.
Le Blavet canalisé coule paisible.
De temps en temps, un chaland automoteur ou une péniche, tirée par deux chevaux et un homme, descend vers Lorient, ou monte vers le centre de Pontivy.
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Un jour,
une voiture que je connais, passe ce pont vers la ville. Je reconnaît l’ancienne voiture de mon père. Elle venait d’être vendue. C’était facile, il n’y en a pas beaucoup à l’époque. Ce pont sert plus aux piétons et aux charrettes qu’aux automobiles. Certes il y a quelques rares camions bruyants à roues pleines qui y passe et aussi un car faisant la ligne Quimperlé-Pontivy, la galerie encombrée de cageots d’où sortent de temps une tête de poulets.
On est en 39.40
Mon père n’avait plus besoin de sa voiture, ma mère ne conduisant pas. Il partait à la guerre. Il m’avait laissé en 1938 chez mon grand-père et ma grand-mère qui l'ont vendue.
Un de ces jours très long, lorsqu’on a a peine six ans, et qu’on n’a pas de copain, je remarque que sur ce pont, une dizaine d’hommes s’affairaient. Des bancs et des tables enlevés du restaurant Robic, tout proche, sont entassés en travers. Les allers et retours se succèdent. A cette époque, les tables de restaurant sont grandes.
On dit des rumeurs: "Et ces civils sont-ils armés" ? l me le semble, mais je ne mettrais pas ma main au feu. Cela Je ne le voie pas de la fenêtre de la maison du grand-père, pourtant toute proche.
Cette fenêtre, c’est mon poste d’observation habituel, orsque je ne suis pas dans le jardin.
Elle se trouve au milieu de la maison. C’est là que je dors, entre la chambre des grands-parents et une seconde chambre au grand lit pour les invités.
Le canal, où les maisons se reflètent, s’écoule, au pied de la maison, sur plus d’un kilomètre et cela des deux côtés. En face, au-dessus de grands arbres, se pointent le clocher de Notre-Dame de la Joie et la tour de Saint-Joseph.
Donc ce jour là, je vois mon grand-père sortir de chez lui, et se diriger vers le pont. Il a cinquante mètres à parcourir. Je le devine discuter avec eux. Beaucoup de bras s’agitent. Il doit sûrement leur dire que c’est une connerie. Il a fait 14-18. Il a vu les armées allemandes.
Ce n’est pas cet enchevêtrement de banc et de table, et leurs fusils de chasse qui arrêteront les Fritz. Je devine cela car c’est ce qu’il grommelait tout seul, tout à l’heure, quand je lui ai dit de venir voir à la fenêtre ce qui se passait sur le pont
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Et ils démontent leur barrage, reprennent ces bancs, auxquelles ils refont traverser la moitié du pont, les rendent à leur propriétaire. Ils ont du s’asseoir sur ces bancs, dépités, et boire un dernier verre ou finir celui qu’ils avaient commencé. Une bouteille de rouge devait les attendre, et les aidera à vivre cette défaite de nos troupes. Ils doivent y être là bas, derrière les rideaux du café, à attendre, toujours attendre et discuter de ce qu’ils auraient du faire ou pas faire. De quoi se mêlait ce docteur ?(Oui et je ne l’avais pas dit, mon grand-père est docteur.) Au moins nous, nous aurions fait quelque chose. Ils en auraient bavé ces Allemands.
Le pont est redevenu désespérément vide.
Le Blavet coule paisiblement. Il fait beau. Peu de vent et de rides sur l’eau qui reflètent les rayons du soleil.
Puis brusquement la rumeur coure le long du Blavet.
Le lourd silence se déchire.
C’est Joséphine qui revient, en courant de la ferme où elle est allée prendre le litre de lait journalier. Ses sabots claquent sur la route, et ce bruit rythme son appel de détresse.
Au premier étage. Il a été tiré les volets métalliques de toute la façade de la maison. Cela a fait le moins de bruit possible. Nous regardons au travers les fentes.
Car je l’avais quitté cette fenêtre, pour écouter dans la cuisine la Joséphine, que la grand-mère avait assise d’autorité sur une chaise, le pot de lait, au complet, auprès d’elle sur la table. La pauvre Joséphine, affalée sur la table, la tête dans les bras, elle sanglotait et parlait à la fois.
Le canal, avec son chemin de halage, et le pont, est devant nous.
Tout est calme.
La route qui arrive de la direction de Gohazé, ce lieu-dit est en Saint-Thuriau, sur la route de Josselin, passe au loin, sur notre droite, à un kilomètre, sous le pont de chemin de fer de la ligne Guingamp-Auray qui traverse le canal.
Tout est calme. Personne. Nous attendons sans parler.
récitent tous les deux des ave, le chapelet à la main. Elles prient Notre-Dame de la Joie, Notre-Dame de la Houssaye, Notre-Dame de Gohazé, Notre-Dame de Remungol, Sainte Anna d’Auray. Protégez-nous des Allemands. Ce sont des endroits où la grand-mère aime bien prier, certains très près. Elle nous y amène à pied les après-midi. Nous y brûlons un cierge puis jouons à l’extérieur pendant qu’elle récite son chapelet..
Le grand-père hausse des épaules.
C’est pas ça qui va repousser les allemands, grogne-t-il, en les entendant.
Première FIN
Nous sommes là derrière les volets, le grand-père et le petit-fils. Tous deux oppressés. Lui, je ne sais pas. Mais moi si.
Dans la chambre d’à côté il y a, dans de gros livres,
des images de guerre avec soldats tués, de chevaux les quatre fers en l’air, ensanglantés, des arbres moignons, des canons renversés. C’était quelque part en Crimée.
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Nous attendons, les yeux rivés vers cette arche du pont
de chemin de fer par où ils apparaîtront.
Aucun bruit ne les a précédés.
Ils sont là,
ils nous ont échappés.
Ils apparaissent sous le pont, Pas celui du chemin de fer.
Sous le nôtre, sous nos yeux.
J’attendais un déluge d’hommes habillés de vert, de casques,
C’est calme, paisible. C’est tout autre chose que ce que nous attendions. Une image de rêve au lieu d’un cauchemar. Il y a de quoi se frotter les yeux.
Trois hommes à cheval, je les vois habillés de blanc ou de rouge, j’avais six ans, comme en promenade le long du chemin du halage et qui remontent paisiblement vers le centre ville, la cravache à la main. Les chevaux dodelinent de la tête, s’ébrouent. Leur hennissement traverse le canal. Ils n’ont rien à voir avec les chevaux de trait qui halaient les péniches.
de baïonnettes brillantes au soleil, de chars, d’engin de toutes sortes, de bruits.
Nous décompressons. Nos regards les suivent puis les quittent, trente secondes, peut-être moins, pour voir du côté du pont de chemin de fer. Rien n’y apparaît. Le trou sombre de l’arche y est désespérément vide. Est-ce un songe ?
Le premier coude du canal avale ces cavaliers..
Ce fut tout. C’était ça l’invasion ?
Plus personne à l’horizon. Tout le monde c’est calfeutré.
Le pont est toujours là, et nous aussi.
Dans la cuisine, Joséphine et la grand-mère ont repris leur chapelet. Ils remercient le ciel de nous avoir sauvés. Elles ont complètement oubliées que c’était l’heure du goûter, pour moi, et du café pour elles.
Le grand-père, hoche de la tête en traversant la cuisine pour se rendre au jardin. Je le suis, après avoir récupéré mes sabots.