LA RESTAURATION DES VERRIERES HAUTES DU CHOEUR DE LA CATHEDRALE DE QUIMPER
Datant de 1417 à 1419, et au nombre de 13, elles subirent de nombreuses restaurations jusqu?à la grande remise en ordre de 1869, faite suivant les conseils de l?archiviste Le Men. Malheureusement, d?autres restaurations au coup par coup eurent lieu entre 1869 et 1941.
Notre approche de ces vitraux commença en 1985, avec la commande d?une étude globale, photos, métré, de toutes les verrières des XVe, du XIXe et XXe siècles de toute la cathédrale. En 1984, nous déposons, suite à tempête, le vitrail de la Vierge à l?enfant du transept nord qui, après une restauration, fera un tour des expositions ;
L?année suivante, en 1986, le laboratoire de Champs sur Marne, auquel avaient été confiés 3 panneaux du XIXe siècle du ch?ur, rendait son étude sur l?état physique et mécanique de ces vitraux.
Suite à la tempête d?octobre 1987,qui fait de gros dégâts sur certaines baies ouest, XIX°, nous déposons, après relevés, toutes les verrières hautes du ch?ur, pour lesquelles une salle fut aménagée dans la tour sud de la cathédrale. Les panneaux de vitraux étaient alors posés à plat par trois avec couches séparatives dans des caisses de bois faites à cet effet.
Les verrières basses du XIXe siècle des chapelles du ch?ur furent déposées à partir de 1991 et entreposées de la même façon dans la chapelle de La Victoire, désaffectée et sécurisée. Suite à l?avancement des travaux sur les voûtes, les vitraux déménagent à la Chapelle Neuve où un nouveau local est monté.
Les verrières hautes de la nef ainsi que celles du transept, sauf une déposée auparavant à cause de son état critique, ont été déposées au fur et à mesure de l?avancement du chantier et stockées dans des coffres de notre atelier pour commencer aussitôt la restauration qui doit être terminée pour la « saint Corentin 1999 »
L?état général de ces vitraux XV et XVIe dans les dernières années du XXe siècle et le pourquoi.
Les verrières hautes du ch?ur étaient en très mauvais état, cela étant, pour les parties du XVe, essentiellement dû à leur âge, Une dépose, par mesure de précaution, en 1941,par des artisans peintres de Quimper, de toutes les fenêtres hautes du ch?ur du transept et nef, a laissé quelques traces, bris et pertes de pièces de verres, confirmées par les relevés photos de ces travaux. A cela s?ajoute, durant toute la guerre, leur stockage vertical dans des caisses de bois bourrées de ripes avec quasiment tous les vitraux anciens finistériens, en la chapelle Saint-Guénolé d?Ergué-Gabéric où l?humidité inhérente à ce genre de lieu a régné. La Paix revenue, Il n?était malheureusement pas envisagé, à cette époque d?après guerre, de restauration véritable de vitraux.
Les ateliers manquaient de tout et les bons matières étaient insuffisants. Le mastic à base d?huile de lin, en période normal reçoit de l?huile de vidange Il en est de même pour le plomb, réalisé par les ateliers avec de la récupération. Le verre manquait et les stocks des mêmes ateliers avaient disparus.
La pose, après cette restauration fut faite, sur des ferrures, en majorité bien rouillées, car datant du début XIX°.
Leur état en place était dramatique, les solins à la chaux n?avaient pas résisté aux intempéries, les tempêtes en avaient bousculé certains, les verres se déchaussaient, les plombs lâchaient, les attaches se rompaient. Depuis plusieurs années, nous avions dû intervenir pour panser et consolider cet état de fait, au coup par coup et avec le peu de moyens dont disposaient les Bâtiments de France.
Sous l?effet du poids supplémentaire des plombs de casse, les panneaux de vitraux prenaient du ventre. Depuis les origines jusqu?aux années 1970, le seul moyen de réparer une pièce brisée était d?incorporer un plomb dans la fente. Certaines pièces offraient, ainsi au fur et à mesure des restaurations et ce depuis leur origine, une dizaine de morceaux maintenus par des plombs de casse, qui, de plus enlaidissent et détruisent la lecture du vitrail.
Pour exemple, avant notre restauration, la moyenne du poids des vitraux au mètre carré était de 21 kilos. Après la restauration, et la suppression des plombs de casse, et malgré les doublages sur certaines pièces, cette moyenne était tombée à 13 kilos au mètre carré. Pour donner un chiffre, rien que pour les 5 fenêtres du côté Nord, nous avons supprimé 3551 plombs de casse, et cela uniquement sur des pièces du XVe siècle.
Les verres XIXe avaient perdu leur grisaille, l?abbé Thomas dans sa plaquette La Cathédrale Saint-Corentin, le signalait dès 1904. En accord avec l?Inspection Générale, il avait été décidé de supprimer ces pièces. Il faut noter que celles-ci n?avaient pas une grande qualité et que la plupart était plus du domaine de l?invention qu?une copie sérieuse des pièces XVe. Je ne parle pas ici de la copie de Lusson de la Crucifixion.
Le travail de restauration.
Notre travail était donc de reconstituer ce qui avait disparu au cours des siècles sans tenir compte à priori du XIXe siècle. Notre but n?était pas de faire de la copie de copie. Ce travail ne fut pas toujours facile.
Pour les éléments d?architecture, il n?y eut que peu de problèmes, car il nous restait assez de pièces d?origine dans chaque baie. Pour les pièces de visages, qui, dans la plupart des cas, avaient disparu, cela fut plus périlleux et amena une recherche constante. Heureusement, nous avions les verrières depuis longtemps entre les mains, et nous étions imprégnés de leur style et de la façon dont le verrier du XVe siècle travaillait.
L?exemple de la reconstitution des donateurs est des plus significatifs. Ils suivaient un même carton. Aucun de ces personnages, homme ou femme, n?était au complet. Nous avions des pièces d?origine encore conservées ici et là, qui une main, un pied, un morceau d?armures, d?heaumes, de visages, qui une épée, une dague etc.. Tout cela permettait au restaurateur d?établir un donateur type, et de copier la pièce ou les pièces dont nous avions besoin pour compléter chaque panneau.
Une autre aide à la reconstitution fut le fait que les pièces anciennes portaient au dos une griffe ou gravure spécifique de leur emplacement dans le panneau, la lancette, et la verrière. Nous avons pu ainsi remettre à leur place d?origine des pièces égarées, loin de leur place du XV°, lors de restaurations précédentes.
Autres aides, le livre de Le Men de 1877, qui fut un peu le livre de chevet, mais il ne fallait pas négliger le manuscrit de de Boisbilly annoté par Aymar de Blois. Il donnait un inventaire des verrières en 1820. Les publications sur l?iconographie n?étaient pas à négliger pour la découverte de certains saints patrons dont il ne restait pas grand chose d?origine et d?utile pour la compréhension.
L?altération des verres de la face extérieure.
Une altération très importante se révélait sur la face extérieure par de multiples cratères. Cette altération était due semble-t-il à une forte teneur en chaux et en magnésie de ce verre, probablement inclus dans le sable utilisé lors de la fabrication du verre et cela aux alentours de 1600 degrés. Le calcium et le magnésium, auquel était ajouté, mais en plus faible quantité, du potassium, fut au cours des siècles, extrait du verre par l?eau de pluie. Cet ensemble entraînait une zone perturbée de couleur brunâtre très importante et très opaque dont l?épaisseur doublait presque le verre. Cette zone perturbée était recouverte de gypse, qui, lui aussi, était dû à l?action du SO2 atmosphérique sur le calcium. Le Gypse, qui est un sulfate de calcium hydraté et cristallisé, perdait son eau, lors de fortes chaleurs, et se transformait en une sorte de pellicule de plâtre très fragile.
Toujours du côté extérieur, en plus des coulées de la rouille des ferrures qui était fortement incrustées dans les cratères et le verre, le laboratoire de Champs sur Marne, découvrit, dans cette zone perturbée et opaque, une forte teneur en plomb. Celle-ci ne relevait pas de la fabrication du verre, et sa présence n?a pu être élucidée. Peut-être était-elle due à l?oxydation très volatile des plombs à vitraux, peut-être à une couverte de peinture au plomb non cuite, posée lors des siècles précédents. Il faut aussi se mettre en mémoire que lors de l?occupation toute lumière était proscrite et ces vitraux reçurent un voile de peinture bleue. Le mystère demeure. C?était la première fois que le laboratoire de Champs, chez qui passent quasiment tous les vitraux anciens, découvrait cette présence.
Sur tous ces verres s?accrochaient des algues et des mousses, plus nombreuses du côté Nord, végétation bien ancrée dans les cratères et qui, sécrétant des acides, continuait à attaquer le verre. Un lavage méthodique et répétitif au Muslik les fera disparaître. la suie des bougies noircissant le tout, les plombs comme les verres. L?altération de la face intérieure.
Cette face des verres était recouverte d?un important dépôt grisâtre dû à la condensation et à la poussière, en grande partie due aux bougies. Le tout était bien ancré dans les multiples minuscules cratères. Sous l?effet de cette pollution, le dessin en grisaille, oxydes métalliques cuits à 600 degrés, avait disparu dans de nombreux cas, ou, par chance, existait encore mais bien fragilisé. Pour maintenir ces restes de grisaille, nous eûmes recourt à des fixations partielles de résine, produit réversible.
Le nettoyage des verres.
Ces vitraux, dès l?arrivée en atelier, sont trempés dans des bains successifs puis lavés à la douchette, le but est après un nettoyage doux d?entamer ainsi le dégagement des cratères de toute pollution de micro-organismes.
Puis les panneaux sont trempés verticalement dans un bain de chlorure de potassium et cela de 3 jours jusqu?à 15 jours. Ce bain facilite le démontage de ces panneaux qui avaient subi un masticage, dans le meilleur cas, à l?huile de lin et blanc de Meudon mais malheureusement additionné de chaux ou d?autres produits. De plus ce masticage, et cela est regrettable, avait été fait à la grosse brosse, et avait imprégné tous les cratères. Ce travail datait de la mini restauration d?après guerre, dont on a parlé plus haut.
Toutes les mesures de nettoyage sont faites avec des méthodes douces, sans abrasive mécanique ni micro sablage. Il a fallu rendre la lumière à certaines pièces complètement opaques. Pour cela nous avons utilisé l?acide oxalique qui a l?avantage de n?être pas dangereux pour le verre, mais demande une surveillance constante avec un PH neutre. Il y eut aussi quelques-uns mais rares nettoyages au DTA au départ, mais vite arrêtés ne répondant pas à nos désirs.
Travaux effectués sur les verres.
Nous avons donc, lors de la restauration, supprimé tous les plombs de casse. Pour ce qui est des pièces aux casses franches et non grugées, nous avons pu les recoller avec une colle à base de silicone transparente ou opaque suivant la transparence ou le foncé du verre. Dans le cas de pièces trop brisées, à partir de 3 morceaux, et par-là, fragilisées, un doublage en verre de 3 mm est posé du côté extérieur et maintenu par un cordon de colle. Pour les pièces grugées et où un jour proche de 2 mm apparaissait, deux solutions étaient utilisées. Soit nous incorporions une greffe, fin élément de verre de même couleur parfois peinte, elle-même collée, soit grâce au verre de doublage utilisé comme support, nous y dessinions la partie manquante. Ces verres de doublage servent aussi de support pour réaffirmer à la grisaille le dessin de certaines pièces anciennes.
Certains verres anciens que nous devions doubler, étant bombés ou possédant des épaisseurs variant de 2 à 5 mm, un thermoformage du verre de doublage était nécessaire
Aucune retouche à froid des pièces anciennes n?a été exécutée, pas plus qu?une recuisson.
La remise en plomb fut exécutée en plombs de 8mm, du 12mm servants pour les côtés. Une bande de plomb fut installée et matée sur la pierre, à la pose, pour éviter tout passage de lumière par les côtés. Pour supprimer la brillance de l?étain, chaque soudure fut peinte sur la face intérieure.
Le masticage, à l?huile de lin et blanc de Meudon fut exécuté sur les deux faces, au doigt, plomb par plomb, cela pour éviter la dépose de ce produit dans les cratères. Une couverte d?eau était posée auparavant par mesure de précaution.
Pour les pièces du XIXe siècle des baies Nord, retirées de la course, nous avons fourni 2673 pièces neuves peintes de grisaille et jaune d?argent. Ce travail de restauration nous a demandé 4807 heures de main d??uvre de mai 1992 à novembre 1993.
Les barlotières, les vergettes.
Pour permettre la mise en place de doubles verrières, vitrail ancien et verrière de doublage, et pour des raisons d?équilibre et de résistance au flambement, on a opté pour une option à balancier à doubles pannetons traversant le fer central et les feuillards. Ces barlotières, dites par nous doubles, ont été exécutées en fer galvanisé peint de trois couches de peinture glycéro. Un fer à T fut fourni dans le bas de chaque lancette, maintenant le premier panneau et assurant l?ouverture de la ventilation basse. Pour la ventilation haute, en plus des aérations ouvertes à chaque barlotière, une ou deux des pièces du sommet de la lancette étaient posée de biais, cachant ainsi d?en bas, l?ouverture ;
Une jupe en tôle formée, nécessaire pour supprimer toute apparition du jour pouvant passer par les regards des tenons, est posée sur chaque barlotière du côté intérieur
Ayant relevé autant sur les panneaux anciens que sur ceux du XIXe siècle des perturbations sur la face intérieure dues aux vergettes droites passant devant les pièces de verre, nous avons utilisé des vergettes dont le dessin suivait au plus prêt le réseau des plombs. Ces vergettes, en forme, étaient faites en rond de 8mm en inox. Elles étaient scellées de 5 mm dans le mur. Les attaches étaient au nombre moyen d?une par 10 cm.
Protection.
Vu l?importance de la corrosion affectant les verres, une protection des vitraux s?avérait indispensable du côté extérieur. L?application d?un film de résine ne pouvait être envisagée. Aussi, une double verrière en vitrail fut exécutée, dont le plombage suit exactement le plombage de la verrière ancienne restaurée qu?il doit protéger. Pour la façon de cette verrière, il est utilisé un verre normal de 4 mm incolore sur lequel un dépoli cuit est posé.
Cette double verrière, assure l?étanchéité extérieure et permet une ventilation forcée de bas en haut, ce qui ne peut être qu?un bien pour les faces externes des verres anciens.
Celle-ci est posée dans les doubles barlotières, et un solin assure l?étanchéité. Il lui aussi utilisé des vergettes en forme comme pour la verrière ancienne.
Les rendez-vous de chantier eurent lieu tous les quinze jours et cela durant tout le chantier Nous travaillâmes pour ces baies hautes de la nef à deux ateliers en collaboration et les rendez-vous de chantier ayant trait aux vitraux se passaient chaque fois, après celui de la cathédrale qui regroupait tous les corps de métiers, chauleur, peintre, polychromiste, doreur, maçon, couvreur, charpentier, serrurier, électricien, chez l?un, puis chez l?autre, confrontant nos trouvailles, nos recherches, nos idées, sous la coupe amicale et souvent utile l?architecte.
Les panneaux du XIXe siècle copies et les pièces non utilisées ont rejoint la salle haute de la tour sud.
La seconde tranche qui comportait toutes les baies hautes du transept et de la nef allait commencer.