les articles sur le vitrail, succèdent à des pages de croquis mémoires ou vise versa dans le but de ne pas fatiguer le blogueur.
COMMUNE DE MOULINS ILLE ET VILAINE
EGLISE Saint-Martin
VITRAIL DU TRANSEPT NORD de I’EGLISE
L'ARBRE de JESSE
Etude prélable à sa restauration en 1991 par Jean-Pierre le Bihan
La fenêtre du transept Nord de l’église de MOULINS nous offre un arbre de Jessé du XVIe dont 75 % des pièces sont d ‘origine. Seules les 5/6e de la partie basse des trois lancettes, au-dessus du second fer sont du XIXe.
On y voyait auparavant, d’après un cliché Monuments Historiques, un montage borne en verre teinté clair à demi masqué par un voilage. Le mystère demeure sur la disparition de ces cinq panneaux.
La reconstitution de cette partie basse est d’une très bonne tenue et de très grande qualité. Elle est très difficile à déceler pour un oeil non averti; les verres anciens étant très peu attaqués et la différence de valeur est très minime.
On y relève aucune trace de signature ni de caractère particulier nous permettant d’identifier l’auteur. Cependant, par analogie avec d ‘autres verrières tels que Beignon dans le Morbihan, on peut l’attribuer à Michel Bayonne, peintre-verrier Rennais du XVIe.
A noter que Moulins et Beignon se trouvent sur deux anciens axes routiers partant de Rennes, l’un à 25 km, 1autre à 35 km à l’Ouest.
DESCRIPTION
Il s’agit d’une composition étagée ne tenant pas compte des panneaux , les personnages étant liés par les ramifications du tronc principal qui, de Jessé, aboutit à la Vierge au sommet du réseau.
Jessé est représenté endormi, assis sous un dais ou tente de forme ronde dont Elie et Jérémie, debout, tiennent les pans servant de porte. ~
Jessé, “souche de l’arbre généalogique du Christ” est représenté par un vieillard à longue barbe. Il était très âgé lorsqu ‘il eut David, son huitième fils. Souvent allongé, il semble que la position assise ait été adoptée par les verriers Rouennais. Il faut cependant noter que la position allongée est difficile à composer dans une verrière à trois lancettes.
Elie et Jérémie ne sont pas différenciés par un phylactère portant leur nom et l’ont peut supposer que le premier se trouve à droite; le phylactère qui le survole reprenant la prophétie (Isaïe XI.1-3) ‘~il sortira un rejeton d’Isaïe et une fleur naîtra de ses racines” Isaïe étant la forme hébraique et Jessé la transcription grecque.
Au-dessus de Jérém je, nous relevons “de Jacob monte une étoile et d ‘Israël surgit un sceptre” oracle de Balaam dans le livre des nombres 24.17.
L ‘arbre ne plonge pas ses racines dans le coeur ou les entrailles de Jessé. Il apparaît derrière et sert de mât à la tente. Est-ce dans un esprit de recherche où la sensibilité de la première façon a voulu être expurgée?
L’arbre est ici plus proche de la sculpture en bois dont les feuilles ont été remplacées par des entrelacs décoratifs. Cela rappelle les “arbres à oiseaux” que les navigateurs aux longs cours du XIXe siècle rapportaient chez eux.
Les rois circulent sur les branches dans une pose que l’on pourrait qualifier de photographique et que l’on peut rapprocher facilement du théâtre de mime. Le dialogue semble s’amorcer entre certains mais peu d'entre eux portent leur regard vers la Vierge, fleur de cet arbre à qui il a été réservé les seules feuilles comme support et dont la forme peut rappeler un nid.
Au nombre de douze, comme il est de convenance a cette époque, alors que Matthieu en relève près de trente générations, les rois s ‘étagent le plus près possible de l’ordre généalogique que donne l’évangéliste dans la deuxième partie de son texte et qui se rapporte à la généalogie au temps de la déportation à Babylone.
Ces rois portent tous la couronne, posée parfois sur des tur-bans,
des chapeaux ou des bonnets pointus, insigne des Juifs, idem pour David qui lui n’a pas le droit au sceptre comme veut l’iconographie.
Les sceptres, par leur raideur, amènent un plus à la composition tout en courbes. L ‘épée de Goliath , l’un de ses attributs anciens, est partie chez Ezechias, motif répété chez Achez.
Sa/omon, à qui la tradition faisait porter le turban le porte bien ici, mais il se trouve en sandwich entre la couronne et un genre de bonnet.
Cette verrière présente une richesse d’écritures et de cou-leurs. La gravure sur rouge étaye les manches de David et d’Asa. Le jaune d’argent joue sur le manteau de Josaphat, seul David a droit au manteau d’hermines, seul Salomon porte le livre et fait face à Ezécias, abrité derrière un bouclier. Le rythme des deux sabres se retrouve avec les deux bourses d ‘Oziam et d ‘Abi as (écrit ici Abiam). La bourse de Jessé n’étant pas d’origine mais cependant copiée avec talent sur celle d’Abias.
La sérénité de la Vierge, toute à son fils, contraste avec les douze personnages. Cela est accentué par la finesse du dessin où la sensibilité est devenue un peu gauche.
Elle porte son fils sur le bras droit et lui présente un fruit de l’autre main dont le dessin des doigts peut surprendre. Le fruit est semble-t-il une figue. Le corps de l’enfant Jésus est d’un dessin un peu lourd et la tête bien petite avec des yeux au regard très dur. Chez 1ui comme pour la Vierge, ce regard est appuyé par de longs cils.
La Vierge et l’Enfant Jésus sont insérés dans une auréole ovale dont le champ jaune est couvert de rayons droits et flamboyants. La bordure est ornée de petits nuages bleus.
A gauche et à droite, dans les soufflets, Jérémie et Isaïe, ces deux derniers plus modestement vêtus que dans le bas de la verrière, font face à Aaron et Moise. De trois-quarts ou de profils, ils accompagnent la Vierge indiquant peut--être ici que les générations de l’ancienne loi ne jouent d’autres rôles que celui de relais nécessaire vers elle.
Le Saint-Esprit
d’origine, surplombe l’ensemble, les anges sont de facture XJXe siècle
La verrière est composée de 35 panneaux, de dimensions irrégulières, étalés dans trois lancettes à plein cintre, une rose ovale, deux soufflets et cinq petits écoinçons.
A signaler que cette verrière est posée dans une architecture en pierre tendre, présentant des feuillures assez profondes qui cachent une partie du vitrail.
Vu le grand nombre de panneaux de lancettes et leur petite surface, on eut pu penser qu’à l’origine ils eussent été d’une surface double.
A l’étude de la coupe des verres dans les bas et hauts des panneaux, on ne relève aucune recoupe postérieure, il s ‘agit de la même coupe au fer rouge.
Moulins et Beignon, comparaison.
Cela nous a mené à comparer cette verrière avec l’arbre de Jessé à Beignon chez qui, au premier abord, il y a plus qu’un cousinage.
Le choix de l’emplacement des ferrures de Beignon nous explique le pourquoi des petits de Moulins.
Dans les deux verrières, la séparation, panneaux par panneaux a lieu aux mêmes endroits, aux mêmes emplacements du carton. Mais à Beignon, les rois sont plus étirés. Il s’agit bien du même carton dont les besoins de la mise en place ont fait agrandir ou diminuer les personnages et les branches de l’arbre. Ce procédé est fréquent. Nous l’avons relevé sur les verrières XVe et XVIe de Guengat, Gouézec et Kergoat en Quéménéven.
Plusieurs différences existent cependant. On le remarque dans l’attribution des noms de rois. Seuls, Salomon, Joatham ont le même emplacement dans les deux cas.
Les personnages ont les mêmes attitudes, du moins chez les rois. Seules les couleurs ont changé et parfois les détails tels que sautoirs, épées, bourses. La coiffure que porte Joaram-Manasses a subi les contraintes de l’architecture.
Les branches de l’arbre ont été allongées, grossies, supprimées. La tente est la même, le décor change. Les prophètes sont assis. Les phylactères blancs avec lisière jaune à Moulins sont devenues ici entièrement jaunes. Quant au jaune d’argent, il est moins bavard Les gravures en rouge se retrouvent mais un peu moins nombreuses.
Autre différence, la Vierge de Beignon présente l’enfant sur le bras gauche et semble reposer sur un siège posé sur des nuages. Quant aux prophètes, ils ont fait place à des anges.
La datation de la verrière de Beignon, grâce aux armoiries d’or au lion d’argent au chef de gueules, de Monseigneur Bohier, situent en principe cette oeuvre entre 1535 et 1576. Cette datation peut-être confirmée par le mélange des caractères gothiques et romains. On donne l’année 1562 comme étant la date charnière, du moins en Bretagne, du passage irréversible du gothique au romain.
Nous voyons aussi à la même époque, le passage du chiffre romain. Cela a-t-il quelque chose à voir avec la clôture du Concile de Trente?
Une étude approfondie de cette verrière de Beignon et de l’Arbre de Jessé de la Ferrière pourrait nous offrir une autre approche de l’Atelier Rennais de Michel Bayonne dont la verrière de Moulins nous livre un peu de ses secrets qui sont dans la tradition des verrières XVIe.
A Moulins, le verre incolore est employé comme partout pour les têtes, les mains et certains vêtements. Il permet de jouer avec le jaune d ‘argent qui ici est très riche, allant de l’orange au jaune citron sur la même pièce, posé par-fois par touche. Il se retrouve sur le verre jaune auquel il donne une autre profondeur, il colore les gravures sur rouge.
La grisaille noire donne le trait mais est parfois rem-placée par une couleur brune qui, lorsqu’elle est légère, prend la place de la sanguine. La pose est exécutée à petit traits. Les enlevés sont faits avec une petite brosse dure. La grisaille se présente en bon état, mais est parfois déficiente aux alentours des plombs. Le fondant utilisé ne doit pas être mélangé dans une bonne proportion ce qui n’a pas permis un bon enrobage des grains d’oxydes métalliques et une bonne liaison entre la peinture et le verre support. La grisaille est pourtant posée sans empattement. Au dos, il a été posé des jus, des sanguines en plus du jaune d’argent.
L ‘ensemble des verres présente des bulles et ils sont assez bien conservés malgré une légère altération en particulier sur le jaune ; La palette de couleur est simple: bleu, rouge, jaune, vert, pourpre.
La mise en plomb présente une coupe très habile avec des incrustations en chefs d’oeuvre.
Notre restauration
Elle a consisté à supprimer le plus grand nombre possible de plombs de casse, ce qui a été effectué sur quatre vingt sept pièces. Nous avons conservé les “faux” plombs de casse du complément XIXe. Par des collages, sur doublage, nous avons réussi à rendre lisible vingt deux pièces, entre autre les visages de certains comme ceux d’A rhum, Oziam, David. L ‘enfant Jésus a perdu les deux plombs qui lui abîmaient le visage, Jessé a retrouvé sa sérénité.
Cette verrière est une oeuvre majeure dans l’histoire du vitrail en Bretagne. Nous regrettons ne pas en connaître le commanditaire et nous ne pensons que la verrière du pignon ouest puisse nous éclairer malgré la date de 1560. Il serait cependant intéressant de comparer le visage du personnage au col d’hermines avec celui de Salomon.
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MOULINS 35